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Policy paper

PP54: La démocratie en Afrique La demande, l’offre, et le ‘démocrate insatisfait’

Synthèse de Politique No. 54 d’Afrobaromètre
Robert Mattes 26 Feb 2019 Togo
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La menace grandissante que constituent pour la démocratie les mouvements populistes et les dirigeants autoritaires occupe une place prépondérante dans les débats politiques actuels. Pourtant, les politologues qui se penchent sur cette question parviennent à des conclusions divergentes, souvent parce qu’ils se servent de différents mesures et normes de démocratie. Certains affirment que le monde vit une récession démocratique, les pays connaissant de récents déclins de la qualité de la démocratie dépassant le nombre de ceux où elle s’est améliorée (Diamond, 2015; Lührmann, Mechkova, & Wilson, 2017; Economist, 2018; Freedom House, 2018). D’autres encore ne perçoivent soit aucun déclin (Levitsky, 2015), soit qu’une toute petite variation (Jiménez, 2017; Skaaning & Jiménez, 2017).

En Afrique, Freedom House a observé une baisse significative des droits politiques, des libertés civiques, et de la qualité globale de la démocratie. Les plus grands changements se sont observés au sein de pays précédemment considérés comme « partiellement libre », dont beaucoup sont passés au statut « pas libre ». Les analystes ont observé que c’est souvent le cas des régimes hybrides qui s’appuient sur une législation anti-terroriste pour réduire l’espace démocratique (Temin, 2017) ou des gouvernements qui répondent à l’accroissement de la concurrence électorale par la restriction des partis d’opposition et des organisations les plus critiques de la société civile (Cheeseman, 2019). D’autre part, V-Dem Institute perçoit plus de changement positif que négatif en Afrique (Lührmann et al., 2018).

L’opinion publique Africaine semble incarner ce sens de divergence. Tandis que Yasha Mounk (2018) semblait trouver un déclin systématique dans l’attachement des citoyens à la démocratie à travers la plupart des démocraties établies d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, les réponses des Africains aux questions posées par les enquêteurs d’Afrobaromètre au cours de la décennie écoulée présentent un tableau plus varié et complexe.

Au niveau le plus global, le tableau semble relativement clair et simple: L’Africain moyen est fortement attaché à la démocratie et contre les régimes autoritaires, et maintient cette position depuis plus d’une décennie.

Cependant, ce tableau représentatif d’un engagement démocratique total varie radicalement lorsque nous affinons notre concentration pour la porter uniquement sur les gens qui expriment toujours des préférences pro-démocratiques à travers plusieurs différentes questions d’enquête – ceux qu’Afrobaromètre décrit comme « demandeurs de démocratie » (Bratton, Mattes, & Gyimah-Boadi, 2005). Au vu de ces critères exigeants, moins de la moitié de tous les Africains méritent l’appellation de démocrates accomplis. Et les niveaux d’engagement varient fortement selon la catégorie démographique et le niveau d’implication politique.

Le tableau devient encore plus complexe lorsque nous nous penchons sur des pays spécifiques ou adoptons une vision à plus long terme. Dans certains pays, les publics sont fortement attachés à la démocratie, tandis qu’ailleurs les gens y sont complètement indifférents. De même, certaines sociétés développent des opinions plus favorables à la démocratie dans le temps, alors que d’autres s’orientent précisément dans le sens inverse. Ces tendances que l’on observe dans les pays individuellement pris pourraient avoir encore plus d’importance que les tendances au niveau du continent pris dans sa globalité.

L’on observe le même type de complexité lorsque nous examinons les appréciations que font les gens de la démocratie. Une petite majorité des Africains que nous avons interviewé affirment que leur pays est une démocratie, et quelque peu moins de gens sont satisfaits du fonctionnement de la démocratie – deux indicateurs qu’Afrobaromètre combine pour mesurer l’« offre de démocratie » telle que perçue. De façon globale, les Africains affirment obtenir moins de démocratie qu’ils n’en demandent. Mais dans certains pays, l’offre de démocratie est plus élevée que la demande. Et alors que cette offre augmente dans certains pays, elle diminue dans d’autres.

Quel est l’impact de ces résultats mitigés sur la survie des régimes multipartites et le renforcement de la démocratie en Afrique? Bien évidemment, beaucoup dépendra de facteurs autres que ce que les citoyens pensent, comme le degré auquel les dirigeants et les élites d’un pays tiennent aux valeurs démocratiques, ainsi que le degré auquel les institutions de contrepouvoir (pouvoir législatif, pouvoir judiciaire) contrôlent le pouvoir exécutif. Mais nous soutenons que les demandes populaires ont également le pouvoir de conduire les pays vers la démocratie, et que ceci est plus probable dans certaines conditions de demandes populaires élevées, mais insatisfaites. En particulier, ce rapport accentue l’importance spécifique des citoyens qui non seulement sont profondément attachés à la démocratie mais adoptent également une perspective critique envers les dirigeants et institutions actuels de leur pays – autrement dit, ces citoyens qui demandent la démocratie et pensent qu’ils ne l’ont pas. Nous décrivons ces citoyens comme des « démocrates insatisfaits ». Pour ce qui est de l’importance de l’engagement citoyen à la démocratie pour la survie et la qualité de la démocratie, des indices portent à croire que ce sont ces démocrates insatisfaits qui importent le plus.

Alors que moins d’un Africain sur six se présentent comme des démocrates insatisfaits au cours de notre tout dernier round d’enquêtes, leur proportion est beaucoup plus grande dans certains pays où les processus électoraux sont profondément entachés d’irrégularités et où les forces d’opposition sont persécutées ou intimidées, suggérant une lutte continue entre la démocratie et l’autocratie. Cependant, les démocrates insatisfaits sont particulièrement peu nombreux dans d’autres pays où l’espace vital de l’opposition s’est récemment rétréci, offrant très peu d’éléments de preuve pour penser que d’autres restrictions rencontreront une résistance populaire.

Pour le communiqué de presse, cliquez ici. Pour le rapport complet, cliquez sur «Télécharger maintenant» ci-dessous.

Robert Mattes

Robert Mattes is a professor of government and public policy at the University of Strathclyde and a co-founder of Afrobarometer.