L’association entre la liberté d’expression et la démocratie constitue une réalité ancrée dans la culture politique de type occidental (Gingras, 2006). Plus que toute autre institution, les médias libres symbolisent la liberté d’expression et demeurent un ingrédient essentiel en démocratie. C’est pourquoi toute restriction des médias libres est vue comme une menace à la démocratie. Par ailleurs, dans une société libre, tout peut se dire, et donc se penser, car sans la liberté de dire et de penser, il ne peut y avoir de vérité (Lepage, 2015). La liberté d’opinion et d’expression est un droit reconnu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son Article 19.
Toutefois, comme toute autre liberté qui n’est pas un droit absolu, la liberté d’expression, bien que garantie dans toute société démocratique, s’exerce dans les limites définies par la loi. Les restrictions de la liberté d’expression et de presse sont aussi dépendantes du régime politique (Rambaud, 2006 ; Batchana, 2008, 2012, 2013 ; Gnane, 2018 ; Reporters Sans Frontières, 2021) et des normes et valeurs morales en vigueur dans chaque société. Le Togo n’échappe pas à cette réalité.
Au Togo, la liberté d’expression est également garantie par la Constitution et protégée par d’autres lois et par les textes internationaux que le gouvernement a ratifié. Mais pour en arriver à la liberté constitutionnelle de 1990, les Togolais ont dû lutter des années durant et continuent d’ailleurs de le faire. Avant les années 1990, la liberté d’expression a fortement souffert au Togo (Rambaud, 2006 ; Batchana, 2008, 2012, 2013 ; Loum & Agbobli, 2015 ; Agbobli & Loum, 2016 ; Tsigbé, 2018). C’est pourquoi pendant longtemps, le Togo a été présenté comme « un prédateur de la presse » par Reporters Sans Frontières (RSF) (Loum & Agbobli, 2015). Les mouvements sociopolitiques déclenchés le 5 octobre 1990 ont conduit à une libéralisation de la vie sociopolitique du pays avec une diversification rapide de l’espace médiatique nationale et une euphorie dans l’exercice de nouvelles libertés, notamment la liberté d’expression et de presse. Cela ne s’est pas fait sans des dérapages.
Aujourd’hui, le Togo semble progresser en matière de liberté d’expression. Que ce soient les données des rapports du Baromètre des Médias Africains (2010, 2013, 2017) ou celles des classements du RSF de 2013 à 2020, le Togo enregistre une progression remarquable en ce qui concerne la liberté d’expression et des médias. Pour le Baromètre des Médias Africains (2017), « au Togo, la liberté d’expression est effective. Il est possible aux citoyens de dire ce qu’ils pensent ».
En dépit des améliorations du cadre juridique, du pluralisme médiatique et de la progression en matière de liberté d’expression et de presse qu’enregistre le Togo, le chemin reste encore long pour qu’il puisse passer de son statut de pays « partiellement libre » au statut de « pays libre » établis par Freedom House (2021). En temps de crise, le Togo connaît-il par moment le resserrement de certaines libertés (Djallo, 2018) comme des coupures d’Internet ou la fermeture de journaux et radios. Pour Amnesty International (2015), dans son rapport de 2014/2015, des menaces pèsent toujours sur la liberté d’expression au Togo, et les journalistes continuent d’être la cible de mauvais traitements. Mêmes les publications des médias d’Etat souffrent de l’ingérence des pouvoirs publics (Baromètre des Médias Africains, 2017).
En 2017, les autorités togolaises ont retiré l’accréditation de la correspondante de TV5 Monde et France 24 au Togo (Togotribune, 2017). En mars 2020, l’hebdomadaire Fraternité a été suspendu de parution pour deux mois après avoir critiqué les décisions de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) relatives à la suspension de deux autres journaux, Alternative et Liberté (Amnesty International, 2020a). De plus, dans sa communication adressée au Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies à la 128ème session en mars 2020, Amnesty International (2020b) affirme que « le Togo a adopté des lois
qui violent de nouveau le droit à la liberté d’expression et créent un climat d’autocensure chez les journalistes, les défenseurs et les militants des droits humains ».
La Loi N° 2019-009 portant sur la sécurité intérieure élargit les prérogatives du ministre chargé de l’administration territoriale et dans certaines mesures des autorités locales à prescrire des mesures restrictives de la liberté de presse et d’expression à travers le contrôle des sites Internet et des services de communication en ligne. Ainsi, le ministre peut, à cet effet, prescrire non seulement la fermeture de toutes les communications en ligne mais également ordonner le retrait de contenus en ligne ou le blocage de leur accès. De même, la Loi N° 2018-026 portant sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité restreint la liberté d’expression en punissant la diffusion de fausses informations.
Les dernières données de l’enquête Afrobarometer au Togo nous permettrons d’explorer l’état des lieux des libertés d’expression et des médias. Ces libertés, bien que promues par le cadre institutionnel et vues par les institutions internationales d’évaluation comme étant en progression, ne s’exercent pas encore pour une majorité de Togolais. Mais ils y aspirent grandement. De plus, la perception que ces libertés sont effectives a tendance à améliorer l’évaluation de la démocratie au Togo.
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