- Un grand nombre d'Africains continuent de peiner à satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. La majorité d'entre eux déclarent avoir manqué de revenus en espèces (81%), de médicaments ou de soins médicaux (66%), de nourriture (59%), d'eau potable (57%) et de combustible de cuisine (51%) au moins une fois au cours de l'année écoulée.
- Mesuré par l'Indice de la Pauvreté Vécue (IPV) d'Afrobarometer, le dénuement matériel a atteint son niveau moyen le plus élevé au cours des 25 dernières années.
- Les taux de pauvreté vécue sévère, ou l'expérience fréquente du « manque » de biens de première nécessité, ont également atteint un nouveau sommet, touchant 24% des citoyens.
- Le degré, l'intensité et l'évolution de la pauvreté vécue varient considérablement sur l'ensemble du continent. Par exemple, au cours de la dernière décennie, le dénuement matériel grave a régressé au Libéria, au Burkina Faso, au Togo, au Gabon et au Maroc, tout en s'accroissant fortement au Nigéria, en Namibie, au Mali, au Zimbabwe et en Afrique du Sud.
La proportion de l’humanité qui vit dans un contexte de pauvreté est en baisse depuis au moins 1980. Mesurée par le pourcentage de personnes vivant avec moins de 2,15 dollars par jour, elle est passée de plus de 40% à moins de 10%, soit de 2 milliards à moins de 750 millions en termes absolus (Hasell, 2022 ; Carbone & Ragazzi, 2023 ; Roser, 2024).
Les enquêtes Afrobarometer des années 2000 et 2010 ont suivi les mêmes tendances à la baisse des taux de pauvreté en Afrique, mesurés par la proportion de personnes qui déclarent aux enquêteurs qu’elles manquent du minimum vital. Sous l’effet d’une croissance économique soutenue et de l’expansion des infrastructures de développement, la « pauvreté vécue » a nettement reculé sur le continent entre 2005 et 2015 (Mattes, Dulani et Gyimah-Boadi, 2016).
Cependant, la croissance économique est restée stagnante au milieu des années 2010. Et à la fin de la décennie, les économies africaines ont été encore plus malmenées par la baisse des investissements étrangers et des prix des matières premières, la réduction des importations de céréales et la hausse des prix intérieurs – des tendances liées aux changements climatiques, à la pandémie de COVID-19 et à l’invasion de l’Ukraine par la Russie (Ero & Mutiga, 2023 ; Carbone & Ragazzi, 2023). D’importantes dynamiques politiques étaient également à l’œuvre, les niveaux de liberté politique ayant chuté dans de nombreux pays (Freedom House, 2024).
En raison de cette dynamique, le taux moyen de dénuement et la proportion de personnes vivant dans des conditions de grande pauvreté se sont constamment accrus. Au huitième round d’enquêtes d’Afrobarometer, réalisé en 2019/2021, les résultats ont montré que l’Afrique avait perdu tous ses gains en matière de réduction de la pauvreté réalisés au cours de la décennie précédente (Mattes & Patel, 2022).
Les résultats les plus récents, issus des enquêtes du Round 9 d’Afrobarometer – réalisées dans 39 pays africains entre octobre 2021 et juin 2023 – confirment la progression continue de la pauvreté vécue. En effet, le taux moyen de « manque » est désormais le plus élevé jamais enregistré par Afrobarometer depuis le début de ses enquêtes en 1999. Plus inquiétant encore est le renforcement de l’intensité du dénuement matériel, un Africain sur quatre faisant état d’une extrême pauvreté vécue. Les taux de pauvreté vécue sévère se sont accrus dans 21 des 34 pays (62%) sondés aussi bien en 2019/2021 qu’en 2021/2023, et dans 23 des 33 pays (70%) sondés aussi bien en 2014/2015 qu’en 2021/2023.
Les premières analyses suggèrent que la hausse de la corruption, contrairement au déclin des libertés politiques, pourrait jouer un rôle dans la résurgence de la pauvreté vécue. Mais il faudra poursuivre les recherches pour vérifier de manière concluante la relation entre la pauvreté et les tendances politiques à long terme sur le continent.