Questions-réponses avec le PDG d’Afrobarometer, Joseph Asunka, qui possède une expertise avérée sur le terrain et dans l’enseignement acquise respectivement auprès des bailleurs de fonds et à l’Université de Californie, Los Angeles. Sous sa direction, Afrobarometer a mené la charge pour combler le déficit de données en Afrique en encourageant la participation citoyenne pour informer le discours public sur le continent. Dans cet échange, Joseph donne un aperçu du parcours, des défis et des opportunités d’Afrobarometer et partage également son point de vue sur la conférence des parties sur le climat COP27 à Sharm El Sheikh, en Égypte.
Q : Vous êtes PDG d’Afrobarometer depuis le mois d’avril de l’année dernière. Pouvez-vous partager certains des moments déterminants de votre parcours avec Afrobarometer et nous dire pourquoi les données sont importantes ?
Afrobarometer a commencé en 1999 comme un projet académique avec une touche d’intérêt public. Les trois co-fondateurs – Profs. Gyimah-Boadi, Bratton et Mattes – ont vu la nécessité de donner la voix aux citoyens dans les pays d’Afrique en voie de démocratisation. Leur vision était de faire en sorte que le développement du continent soit ancré dans les réalités et les aspirations de ses populations. Notre parcours depuis lors a été marqué par plusieurs moments déterminants, mais je vais en souligner un qui nous tient particulièrement à cœur. Les quatre premières séries d’enquêtes Afrobarometer réalisées entre 1999 et 2010 ont inclus jusqu’à 20 pays. Lors du Round 5, nous avons couvert jusqu’à 35 pays. Cela a été et restera notre avancée la plus significative dans la couverture des pays. Nous avons sondé plus de la moitié des citoyens du continent. Avec cette expansion, Afrobarometer a laissé son empreinte sur le continent et au-delà en tant qu’acteur clé pour combler le déficit de données en Afrique. Nos données sont utilisées pour construire l’Indice Ibrahim de la Gouvernance Africaine et d’autres indices de gouvernance mondiale, notamment les Indicateurs de Gouvernance Mondiale de la Banque Mondiale et le Baromètre Mondial de la Corruption de Transparency International, entre autres.
Q : Quels sont les plus grands défis auxquels Afrobarometer a été confronté pendant plus de 20 années qu’il travaille pour combler le déficit de données en Afrique ?
Les défis logistiques sont immenses, notamment le mauvais temps, les inondations, les terrains accidentés et les routes en mauvais état, la mauvaise connectivité Internet ou la mauvaise réception téléphonique, et bien d’autres. Certains de nos agents sur le terrain ont parcouru de nombreux kilomètres à pied ou à cheval, construit des ponts de fortune ou enduré de longues promenades en bateau pour atteindre des endroits éloignés. De graves risques sanitaires peuvent également retarder le travail sur le terrain, comme cela s’est produit avec l’épidémie d’Ebola de 2014-2015 au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. La COVID-19 nous a obligés à suspendre le travail sur le terrain pendant environ sept mois en 2020. Des événements politiques ou des conflits inattendus peuvent aussi faire dérailler nos plans. Il est important de noter que ces défis ne se limitent pas nécessairement qu’à la collecte des données. Nous rencontrons parfois de la résistance de la part des responsables gouvernementaux, en particulier lorsque les conclusions sont jugées peu flatteuses ou politiquement défavorables. Enfin, le financement est un défi constant. Permettez-moi de saisir cette occasion pour exprimer notre plus profonde gratitude à nos partenaires de longue date, aux bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux et aux fondations privées pour leur soutien indéfectible. Chez Afrobarometer, nous remettons constamment en question le statu quo et déployons de nouveaux outils pour élargir notre champ d’action et la portée de notre travail. Cette vaste entreprise nécessite des financements supplémentaires. Malgré tous ces défis, nous restons déterminés à produire des données d’enquête indépendantes, fiables et de grande qualité.
Q : Afrobarometer prend le pouls des citoyens africains depuis plus de deux décennies sur des questions importantes et d’actualité. Face à la menace des changements climatiques, que disent les données d’Afrobarometer ?
Les changements climatiques font des ravages dans toute l’Afrique. De plus en plus, de graves sécheresses frappent le Sahel ; Les glaciers d’Afrique de l’Est fondent ; Le cyclone Idai en 2019 et les inondations meurtrières au KwaZulu Natal ont dévasté l’Afrique australe, entre autres.
Avant la COP27 en Égypte, nous avons publié des cartes sur les changements climatiques résumant nos conclusions dans 20 pays africains. En moyenne, seulement la moitié (51%) des citoyens sont conscients des changements climatiques. Cela appelle à une plus grande sensibilisation sur l’urgence climatique. Il est toutefois rassurant de constater que parmi ceux qui sont sensibilisés aux changements climatiques, une majorité souhaite que leur gouvernement agisse dès maintenant pour limiter les changements climatiques, même si cela coûte cher, entraîne des pertes d’emplois ou nuit à l’économie. Comme l’a dit à juste titre le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, dans son discours d’ouverture de la COP27, “Le temps presse. Nous sommes dans le combat de nos vies”. Chez Afrobarometer, nous pensons que le changement est possible, mais seulement si nous agissons collectivement avec rapidité et à grande échelle pour éviter de franchir le seuil de réchauffement climatique de 1,5 °C. Plus important encore, les voix des citoyens africains doivent être prioritaires dans les politiques et décisions futures qui les affecteront.